Les disparues de perpignan ( Affaire Marc Delpech )
- Par Le Guide De La Critique
- Le 05/09/2011
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- Dans Disparition
Trois jeunes filles massacrées et une disparue... Le cauchemar des Catalans, qui avait commencé en 1995, resurgit avec la découverte d'un crâne féminin.
«A casa d'un penjat, no parlis de cordes...» (dans la maison d'un pendu, ne parle pas de corde) dit le proverbe catalan, et c'est vrai qu'à Perpignan, on n'aime pas parler de cette histoire. D'ailleurs, depuis dix ans, on triche en évoquant l'affaire des «disparues» de la gare, là où la vérité du dossier judiciaire est tout autre avec une disparition... et trois meurtres. Jeudi 9 mars, les fonctionnaires de la police de l'air et des frontières ont fait ressurgir le mystère avec la découverte au Boulou, une petite ville blottie en contrebas de la frontière franco-espagnole à une envolée de Perpignan, du crâne décalotté d'une jeune fille «en fin d'adolescence» selon le médecin légiste. «La taille du crâne et la dimension des orbites prouvent déjà qu'il s'agit du crâne d'une femme jeune, explique le procureur de la République de Perpignan, Jean-Pierre Dreno. La calotte a été découpée en biais. Nous attendons maintenant les analyses de l'Institut génétique Nantes-Atlantique du professeur Moisan, qui nous diront si l'on peut encore en extraire de l'ADN et si cet ADN correspond ou non à celui de Tatiana Andujar, la seule des quatre disparues dont le corps n'a pas été retrouvé à ce jour .» Tatiana Andujar... Le 25 septembre 1995 dans la soirée, cette belle lycéenne brune de 17 ans disparaît dans le secteur de la gare de Perpignan. Les derniers à l'avoir vue, des témoins «sûrs et fiables», se souviennent l'avoir croisée dans le train revenant de Toulouse. Depuis, plus rien. Tatiana Andujar avait expliqué à des proches son intention de se rendre «devant le café Figuères pour faire de l'auto-stop» et rejoindre sa famille à Llupia, un petit village situé à une dizaine de kilomètres de Perpignan. L'enquête s'oriente d'abord vers une fugue. On est loin de la piste d'un tueur, bien loin d'imaginer ce qui va suivre. Car deux ans plus tard, le 20 décem-bre 1997 dans la nuit, c'est Mokhtaria Chaïb qui disparaît, exactement dans le même quartier. Elle a 19 ans, elle est étudiante en sociologie, et ceux qui l'ont vue pour la dernière fois se souviennent qu'elle quittait le secteur de la gare pour se rendre à la cité universitaire. Le lendemain, son corps atrocement mutilé est découvert en bordure d'un terrain vague, avenue Nungesser-et-Coli, dans le prolongement du trajet qu'avait emprunté Tatiana deux ans auparavant et à 500 mètres de l'endroit où elle était censée avoir fait du stop. L'assassin de Mokhtaria lui a découpé et prélevé les seins, le vagin et les parties génitales de façon chirurgicale. Son tortionnaire a des connaissances précises de l'anatomie humaine et les légistes pensent immédiatement à un membre du corps médical. Mutilations chirurgicales Quelques jours plus tard, au mois de janvier, la police judiciaire interpelle un suspect, Andréas Palomino-Barrios. Un Péruvien qui s'empêtre dans ses mensonges. «C'était un individu très spécial qui se disait chirurgien, témoigne aujourd'hui un officier en poste à la PJ de Perpignan. Il avait exercé dans de nombreux hôpitaux français mais ne possédait aucun diplôme. Un escroc...» Contre lui, les flics n'ont que des soupçons : Palomino-Barrios habite à proximité du lieu de découverte du corps de Mokhtaria, il est susceptible, compte tenu de son présumé métier, d'avoir pu effectuer les mutilations constatées sur Mokhtaria, il est incapable de communiquer son emploi du temps aux enquêteurs et leur donne plusieurs fausses versions. Enfin, le Péruvien possède un fourgon qui a été nettoyé à fond le lendemain du crime alors que ce véhicule n'était jamais lavé. Pour la police et le juge d'instruction, Palomino-Barrios est le suspect idéal. Il est mis en examen et incarcéré pour «enlèvement, meurtre avec actes de torture et de barbarie». Perpignan reprend à peine son souffle qu'un nouveau drame secoue la ville. Le 16 juin 1998, c'est Marie-Hélène Gonzalez, une jeune femme de 22 ans, qui disparaît. On l'a vue monter dans le train à Elne et elle devait, comme Tatiana Andujar, rejoindre sa famille à Toulouges, près de Llupia. Dix jours plus tard, un ferrailleur découvre son corps dans un terrain vague en contrebas du pont qui enjambe l'autoroute A9, à quelques dizaines de mètres seulement du péage. Marie-Hélène a été mutilée plus horriblement encore que Mokhtaria. Elle a la tête et les deux mains coupées et une sorte d'éventration au niveau du sexe. L'enquête de la police judiciaire n'avance pas et, à l'automne 2000, le faux chirurgien péruvien qui crie son innocence dans le meurtre de Mokhtaria Chaïb est finalement remis en liberté et condamné à dix ans d'interdiction du territoire français. «Etrange réaction de la justice, explique Me Etienne Nicolau, avocat des familles de Mokhtaria et Marie-Hélène, qui considère que, ne pouvant pas être coupable de ce deuxième meurtre, Andréas Palomino-Barrios est nécessairement innocent du premier.» L'avocat a vu juste car, dès cette époque-là, la police judiciaire de Perpignan et le juge d'instruction ne travaillent plus que sur la piste d'un tueur unique. Or, ce raisonnement omet qu'il existe une différence importante entre les types de mutilations observées sur les deux corps retrouvés : celles qu'a subies Mokhtaria sont chirurgicales, alors que les mutilations commises sur Marie-Hélène sont beaucoup plus grossières. Ces modes opératoires différents laissent penser que l'on n'est pas forcément en présence d'un seul tueur mais, pourquoi pas, d'un tueur qui a voulu en imiter un autre... ou en faire «innocenter» un autre. Un sanctuaire caché ? Quelques mois plus tard, en février 2001, une quatrième jeune femme disparaît dans le quartier de la gare. Elle s'appelle Fatima Idrahou, c'est une étudiante de 23 ans qui occupe un petit job chez Darty. Elle a exactement le «profil» des disparues : une jolie jeune femme brune qui réside à la cité universitaire. Une véritable foudre médiatique s'abat alors sur la ville. Les journalistes français, anglais et américains font leurs plateaux télévisés en direct de Perpignan : tout le monde est désormais convaincu qu'un tueur en série sévit dans la ville car il y a unité de temps (au début de la nuit), unité de lieu (le quartier de la gare) et unité d'action (enlèvements suivis de meurtres de victimes du même profil). Le 21 février 2001, une feuille de paie de Fatima Idrahou est découverte devant la porte d'un magasin Promocash situé entre la boutique Darty et le domicile de la jeune femme. Le directeur de Promocash se souvient alors d'une scène et d'une partie de la plaque d'immatriculation d'une voiture. La voiture est identifiée dès le lendemain. Son propriétaire s'appelle Marc Delpech, il a 32 ans et tient un bar à Perpignan. Interpellé chez ses beaux-parents en Meurthe-et-Moselle, il avoue le meurtre de Fatima. Rien n'est simple, décidément. Après Andréas Palominos-Barrios, Marc Delpech est un autre personnage hors du commun, un beau parleur qui va réussir dans un premier temps à convaincre les enquêteurs de la police judiciaire que la mort de Fatima est une affaire passionnelle. Delpech raconte qu'il est l'amant de la jeune femme depuis plusieurs mois, qu'il est follement amoureux d'elle, qu'elle joue avec lui, qu'elle l'a menacé de tout dire à sa femme, qu'il n'a pas supporté cela et que, dans un moment de folie, il l'a étranglée. Il explique aux policiers qu'il a emmené le corps jusqu'au cap Bear - le dernier cap des Pyrénées-Orientales avant l'Espagne - et que là, équipé de sa combinaison de plongée, il a porté Fatima sur son dos, descendu son corps jusqu'à la mer en chutant à plusieurs reprises dans la falaise. Arrivé en bas, Delpech raconte qu'il a nagé en tenant Fatima par le cou, qu'il a calculé comment aller suffisamment loin pour que le courant emmène le corps au large mais pas trop pour pouvoir revenir seul à la nage. Tout cela avec des élans lyriques qui vont finir de convaincre les enquêteurs : «J'ai confié, dit-il, le corps à la mer...» Le soir de ces aveux «complets» marqués de repentir, le procureur de la République donne une conférence de presse et rassure les Perpignanais : c'est un meurtre passionnel qui n'a rien à voir avec les précédentes affaires. L'instruction commence. Le juge prévoit une reconstitution des faits avec un transport au cap Béar, où l'assassin devra refaire ses gestes. Un détail surprend alors les enquêteurs : remisée dans son garage, la combinaison de plongée de Delpech est couverte de poussière alors qu'il déclare l'avoir utilisée récemment. Effectivement, Delpech a menti et, le matin même du jour prévu pour la reconstitution, un promeneur retrouve le corps de Fatima Idrahou, à demi découvert et émergeant du sable au bord de l'étang du Canet, à l'intérieur des terres et... à 25 kilomètres du cap Béar. Cette fois-ci, Delpech déclare avoir violé Fatima et l'avoir enterrée là. Le corps est complètement dénudé comme les cadavres de Mokhtaria et Marie-Hélène. Les bijoux de Fatima ont été volés comme ceux des deux précédentes victimes. Ainsi, aujourd'hui encore, s'interroge-t-on sur l'existence d'un sanctuaire caché dans lequel se trouveraient les bijoux de toutes les disparues. Deux jours plus tard, Marc Delpech revient sur ses aveux. Malgré les tentatives du juge Boyer, qui va le convoquer pendant quinze jours matin et soir, le patron de bar ne reconnaît plus le viol et perd un peu plus la mémoire chaque jour. Delpech ne se souvient plus avoir tué Fatima, ne sait plus ce qu'il a fait de ses vêtements ni de ses bijoux. «Il va avoir, tout au long de l'instruction, explique un magistrat perpignanais, un comportement qui ne ressemble en rien à celui d'un homme qui a agi par passion ou par pulsion.» Un inquiétant roman Delpech est-il le tueur qui terrorise Perpignan ? L'ombre de Tatiana, Mokhtaria et Marie-Hélène va, en tout cas, peser sur son procès. Le 18 juin 2004, la cour d'assises des Pyrénées-Orientales le condamne à trente ans de réclusion assortis d'une peine de sûreté de vingt ans pour le meurtre et le viol de Fatima Idrahou. Le 1er juillet 2005, la cour d'appel de l'Hérault confirme la peine. Rien dans les débats n'a permis d'avancer une quelconque responsabilité de Delpech dans les trois autres dossiers de Perpignan, «mais sa personnalité, telle qu'elle est apparue dans ses deux procès, observe Me Etienne Nicolau pour les parties civiles, a certainement laissé penser aux jurés et à la cour qu'il était capable d'être responsable des autres meurtres et de la disparition de Tatiana». Et il est vrai que le comportement de Marc Delpech reste, aujourd'hui encore, extrêmement troublant. Dans son ordinateur, les enquêteurs ont découvert l'ébauche d'un roman qu'il avait intitulé Tatiana, dans lequel l'héroïne est enlevée à proximité de la gare de Perpignan par... le rabatteur d'un tueur. Interrogé par les psychiatres, Delpech a cette réponse : «Je me demande si je n'ai pas commis d'autres crimes. Je me pose la question !» Le dossier de la police judiciaire renferme des certitudes : le faux chirurgien péruvien n'a tué ni Marie-Hélène Gonzalez parce qu'il était en prison au moment de son meurtre, ni Fatima parce que son assassin est Marc Delpech. Le reste du dossier n'est constitué que d'hypothèses de travail peu rassurantes car, s'il n'y a pas de tueur en série à Perpignan, cela sous-entend qu'il pourrait y avoir trois assassins en liberté : celui de Tatiana, celui de Mokhtaria et celui de Marie-Hélène. Les enquêteurs espèrent que le crâne découvert au Boulou permettra de faire avancer l'enquête. La science est leur dernier espoir.
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