127 heures La vraie histoire d'Aron Ralston
- Par Le Guide De La Critique
- Le 01/07/2012
- Commentaires (0)
- Dans Catastrophe
Prisonnier d’un bloc de pierre dans le Colorado, Aron Ralston s’est libéré d’une mort certaine en s’amputant lui-même le bras. Avec un canif. Son histoire fait aujourd'hui l'objet du film "127 heures" de Danny Boyle. A l'époque, notre reporter l'avait rencontré.
Je suis Aron. Vous me cherchiez? Je me suis amputé le bras droit, pouvez-vous me conduire à l’hôpital, s’il vous plaît?» Pour le sergent Mitch Vetere, la situation a quelque chose de surréaliste. Contacté par les services de secours de Salt Lake City (Utah), ce ranger du parc de Canyonlands pensait accomplir une mission banale. Comme il arrive régulièrement, un promeneur s’était perdu. Mais, en trente-cinq ans de service, jamais il n’a rencontré une situation comme celle-là. Le jeune homme, longiligne et très pâle, qui s’adresse à lui est couvert de sang et n’a plus d’avant-bras droit. Pas une once de panique ni même d’épuisement dans ses yeux et ses gestes. Avant de monter dans l’hélicoptère des rangers, il prend soin de se retourner pour remercier les deux promeneurs hollandais qui ont accompagné les derniers kilomètres de son incroyable odyssée. Une fois à bord, pour l’empêcher de s’évanouir, Vetere force Ralston à parler, à expliquer ce qui lui est arrivé et à lui raconter son invraisemblable épopée. Elle est à peine croyable.
Tout commence le 24 avril lorsque Aron Ralston quitte le Ute Mountaineer, à Aspen (Colorado), la boutique d’équipements sportifs de haute montagne dans laquelle il travaille depuis novembre. «Bon, je m’en vais», lance-t-il à ses collègues. «Je prends quelques barres énergétiques», explique-t-il à Brian After, le manager de la boutique, en se penchant derrière le comptoir. «Combien de temps tu pars?» lui demande After. «Oh! je ne vais pas faire grand-chose ce coup-ci. Je vais à Canyonlands pour quelques exercices, histoire de me maintenir en forme», répond Ralston. Et de la forme, il en a besoin pour le projet dans lequel il s’est lancé l’année dernière: devenir le premier homme à escalader les 59 sommets de plus de 4 000 mètres du Colorado. D’autres l’ont fait avant lui mais jamais en hiver, et surtout pas en solo! Ralston en a déjà gravi 47. Comme me l’explique Jason, un de ses amis avec qui il est souvent parti en randonnée, «Aron est perpétuellement à la recherche de ses limites. Non content d’escalader un sommet le plus vite possible, il faut qu’il fasse les 300 derniers mètres en courant. Mais attention, il connaît parfaitement ses capacités et évalue toujours les risques». Presque toujours.
Situé à quatre heures de route d’Aspen, le Canyonlands National Park est une immensité de montagnes, de cratères et de roches escarpées. Le 24 et le 25 avril, Ralston alterne balades en V.t.t. et petites grimpettes. Une plaisanterie pour Aron, qui prend davantage de plaisir à la solitude que dans les escalades elles-mêmes. Le 25 au soir, il décide de camper au Horseshoe Canyon pour la nuit.
Le 26 au matin, samedi, le temps est beau mais le froid est vif. Il décide de garer sa voiture sur le parking où se termine la route bitumée, et effectue une vingtaine de kilomètres à vélo sur un chemin de terre. Il devra poursuivre sa balade à pied. Il compte passer la journée en escalade.
Moins d’une demi-heure plus tard, il croise deux filles avec qui il randonne deux heures durant. A la fourche baptisée Blue John Canyon, leurs chemins se séparent. A gauche, la piste rejoint la route principale. C’est là où se dirigent la plupart des randonneurs amateurs. Aron, bien sûr, a déjà opté pour la droite. A peine vingt minutes plus tard, un premier goulet lui bloque le passage. Il faut escalader cette faille pour rejoindre la piste. Une formalité. A première vue, la roche offre plusieurs points d’appui, et tout ça ne doit pas prendre plus d’un quart d’heure.
Un énorme caillou de 500 kilos roule et écrase son avant-bras. Mais le cri que le choc lui a arraché, personne ne peut l’entendre.
Vêtu d’un short et d’un tee-shirt, un petit sac de toile dans le dos, Aron commence son escalade d’une dizaine de mètres. Consciencieusement, il vérifie ses points d’appui chaque fois qu’il s’élève. Tranquillement, il se dirige vers le gros rocher au-dessus duquel il doit passer pour pouvoir redescendre de l’autre côté. Arrivé à la hauteur de la pierre, il s’assure qu’elle est solidement posée avant d’y prendre appui. Cela semble être le cas. Et vu la taille du granit, peu de chance qu’elle bouge. Erreur. Il s’apprête à escalader la roche lorsque celle-ci, brusquement, pivote. Aron a le temps de retirer sa main gauche, mais pas la droite. Un énorme caillou de 500 kilos roule et écrase son avant-bras. Désormais coincée contre la paroi, la pierre emprisonne Ralston. Les deux pieds posés contre de minuscules anfractuosités dans la roche un peu plus bas, il a changé de couleur. Il est devenu blanc sous la douleur qui lui a fracturé les os. Mais le cri que le choc lui a arraché, personne ne peut l’entendre. Dans la légende du Far West, l’endroit est célèbre pour avoir abrité Butch Cassidy et le Kid lorsqu’ils fuyaient les autorités locales. Si on veut se cacher, c’est le lieu idéal. S’il vous arrive un pépin, c’est le pire endroit. Dans ces premiers instants, la souffrance, combinée à la peur, plonge Aron dans une panique désespérée. Immédiatement, il pense à utiliser son couteau suisse pour essayer de faire levier sur la pierre. Avec une douleur atroce pour seule compagne, Aron doit manœuvrer avec précaution. D’abord, attraper le sac qu’il a dans le dos, le poser délicatement sur le rebord de 60 centimètres qu’il a devant lui, puis fouiller dedans pour attraper le couteau. Surtout, surtout, ne pas le laisser tomber 10 mètres plus bas, auquel cas ses chances de se dégager seraient réduites à néant. Il effectue toutes ces manœuvres avec sa seule main libre et extirpe la petite lame de 10 centimètres. Il tente de creuser le rebord de sable de la corniche pour déplacer la pierre, mais très vite il comprend que ses efforts seront vains. Et la nuit tombe déjà...
A cette saison, la température est assez clémente le jour (17 °C) mais chute dramatiquement la nuit autour de 0°C. Avec son tee-shirt et son short pour tout vêtement, Aron sait que la nuit sera longue, très longue. Avant de ne plus rien voir, il décide, toujours d’une main et avec la douleur de ses os brisés, de confectionner une sorte de corde de rappel. Pas pour redescendre évidemment, mais pour pouvoir y fixer ses jambes et les délester du poids de son corps, qu’elles supportent depuis déjà quelques heures. Il y parvient avant la tombée de la nuit, et peut au moins étendre ou replier ses jambes. Méthodiquement, il fait le point. Il a un short de rechange, 3 litres d’eau, trois barres de céréales, deux burritos (petits sandwichs mexicains) et son équipement de grimpée. Avec ça, il va devoir libérer son bras d’une pierre de 500 kilos...
Au cours de cette première nuit, Aron connaît le goût amer de ce qu’il était venu chercher: la solitude. Pour tous les amoureux de l’escalade, le plaisir vient des difficultés à atteindre un point qu’ils se sont fixé, mais la plénitude n’intervient qu’«une fois là-haut», quand ils sont seuls au monde. Et tellement bien.
Pour Aron, la situation est cette fois complètement différente. Il sait qu’il a commis une imprudence, une erreur de débutant, même. Pire, une faute qu’il a lui-même enseigné à ne jamais faire, trois ans plus tôt, lorsqu’il appartenait à l’équipe de sauveteurs du Nouveau-Mexique: essayer de ne pas partir seul en randonnée et, dans tous les cas, toujours donner à au moins trois personnes son itinéraire et la date approximative de son retour. A ses parents, qui s’inquiètent depuis longtemps de ses escapades, il avait juré de ne jamais commettre cet impair... «Que quelqu’un sache où vous êtes, même vaguement. En cas de pépin grave, il y aura au moins une chance pour qu’on retrouve votre corps», expliquait-il aux touristes.
Aron a compris qu’il ne lui restait plus qu’une seule solution. A l’aide de son petit couteau, il décide de sectionner son membre emprisonné
Au cours de sa première nuit, Aron dort peu. Le dimanche, au lever du jour, la situation, comme la pierre, n’a pas bougé. En ancien ingénieur cartésien qu’il a été chez Intel, le fabricant de puces électroniques, Aron décide alors d’évaluer calmement ses chances. Il y en a quatre. Soit il réussit à se dégager tout seul. Soit il parvient à bouger la pierre avec son équipement de montagne. Soit quelqu’un passe par là et le retrouve. Soit il devra couper son bras pour se dégager. Il existe une cinquième option, mais Aron refuse de l’envisager: celle d’avoir à mourir ici.
Il a déjà essayé la première solution, et elle semble sans issue. Toujours avec une seule main et dans la douleur, il parvient à enrouler une corde autour de la pierre et effectue des mouvements avec son bassin pour la faire bouger. Rien à faire. Elle ne se déplace pas d’un millimètre. Dès le dimanche soir, l’espoir qu’un grimpeur passe par là s’amenuise. Si cela avait dû arriver, ça aurait eu lieu durant le week-end. Comme lui, les amoureux de la nature s’adonnent à leur passion en fin de semaine. C’est d’ailleurs pour pouvoir être plus libre qu’Aron avait abandonné son job. Il voulait escalader le plus haut sommet des Etats-Unis, le Denali en Alaska, mais avait besoin de trois semaines de vacances d’affilée. Son employeur avait refusé et Aron en avait profité pour changer radicalement de vie. Originaire de l’Ohio, il avait obtenu son diplôme d’ingénieur à l’université de Pittsburgh, puis était entré chez Intel. Ses différentes affectations l’avaient amené à vivre à Phoenix (Arizona), à Tacoma (Washington) et, depuis trois ans, à Albuquerque. Après avoir quitté Intel, il avait mis ses affaires dans son pick-up truck et était parti s’installer à Aspen, où il avait un ami. Cette station, fréquentée par la jet-set hollywoodienne, allait servir de base à son projet: escalader les plus hauts sommets du Colorado en solo. Il avait trouvé un travail dans un des nombreux magasins, style Vieux Campeur, de la ville. Là-bas, tous les employés sont des fondus de la montagne. Aron s’y sentait bien, avait du temps libre et vivait dans un environnement où, tout comme lui, on ne parlait et ne vivait que pour la prochaine escalade.
C’est Brian After, le gérant du magasin, qui le premier a un mauvais pressentiment. «Aron est un type bien et consciencieux. Ne pas le voir au magasin lundi matin m’a surpris. Plus que ça, même. Je me suis douté qu’il s’était passé quelque chose. Jamais il ne se serait absenté sans nous avertir.» Brian demande aux autres employés s’ils savent où est Aron, mais eux non plus ne l’ont pas vu depuis qu’il a quitté le magasin quatre jours plus tôt. Le mardi matin, le doute n’est plus permis : il lui est arrivé quelque chose, et Brian décide de prévenir ses parents qui habitent à Denver. Eux non plus ne savent rien.
Pendant ce temps-là, entre douleur et fatigue, Aron a compris qu’il ne lui restait plus qu’une seule solution. A l’aide de son petit couteau, il décide de sectionner son membre emprisonné à la hauteur de l’avant-bras. Hélas, vu les efforts répétés pour bouger la pierre, la lame, déjà peu tranchante, ne parvient même pas à entailler sa peau. Dans une souffrance qu’on a peine à imaginer, Ralston renouvelle l’opération toute la journée. Toujours sans succès. Mercredi matin, il termine ses dernières rations de nourriture, lèche même les emballages de ses barres céréalières, et avale les derniers centilitres d’eau qui lui restent. Son état d’esprit oscille entre abattement et quiétude. Il songe à laisser sur le sable de la corniche des indications pour expliquer où il souhaite voir ses cendres dispersées: au sommet d’une montagne où il avait emmené ses parents deux ans plus tôt. Il ne commence même pas, réalisant vite que les pluies régulières de la région effaceraient toutes traces. L’idée de la mort, sa cinquième option, ne peut maintenant plus être écartée. Il essaie de trouver la paix, se souvient de tous ces sommets qu’il a gravis, se saoule rétrospectivement des émotions qu’il a éprouvées au cours de ses vingt-sept années, pleure en songeant à sa mère surtout, toujours si inquiète pour lui, mais qui jamais ne lui a fait le moindre reproche pour ses «folies».
«Comme grimpeur, vous êtes à l’évidence fortiche, mais comme chirurgien, ce n’est pas ça...»
Dans la nuit de mercredi à jeudi, il sait que les prochaines vingt-quatre heures seront les dernières. S’il attend encore, il n’aura plus l’énergie suffisante pour entreprendre ce qu’il s’apprête à faire. Il n’a plus rien à manger ni à boire, guère de chance qu’on le retrouve, car, même si un hélicoptère avait été envoyé à sa recherche, coincé dans ce goulet comme il l’est, personne ne peut le voir. Au petit jour, le jeudi, il est brutalement plein d’excitation, et même de joie: couper son bras coûte que coûte lui paraît la seule solution possible. Comme si le fait de ne plus avoir d’autres solutions l’avait régénéré. Il pense maintenant à «l’après», à cette vie qu’il va continuer à avoir, sublimée par cette expérience. C’est sans doute cette euphorie qui va lui permettre de traverser les invraisemblables souffrances qui vont suivre.
Après avoir «travaillé» pendant vingt-quatre heures sur son bras comme il l’a pu, il réussit à l’entailler. A travers la plaie à vif, il voit ses os. Avec son petit canif, il n’a aucune chance de pouvoir les sectionner. Comment faire? Porté par l’état d’illumination dans lequel il s’est plongé, il essaie de briser ses os à la hauteur du poignet, là où ils sont les plus fragiles, en se contorsionnant entre la pierre et la paroi. Entre douleur et rage, bien aidé par le travail de la pierre du premier jour qui les a déjà en partie brisés, il parvient effectivement à broyer son radius et son cubitus. Reste maintenant à trancher les veines et les ligaments. Méthodiquement, il prépare sa «table de travail». D’abord, installer une corde pour pouvoir descendre en rappel lorsqu’il sera libéré. Ensuite, mettre son short de rechange à portée de main pour pouvoir arrêter le flot de sang qui va se déverser. Enfin, s’appliquer un garrot à la hauteur du biceps (toujours avec une seule main!) pour limiter l’hémorragie. Pendant près d’une heure, avec son coutelas de fortune, Aron s’attaque aux dernières attaches naturelles qui relient son bras à sa main. Passé un certain stade de douleur, affirment ceux qui ont subi des tortures, on entre dans une phase qui ressemble plus à ce qu’on appelle de la souffrance: on a mal, mais dans une sorte d’apaisement étrange. C’est sans doute ce qu’a éprouvé Aron dans ces derniers instants. Le dernier ligament cède et, après cinq jours, il peut enfin se libérer. Immédiatement, il descend en rappel. Il s’arrête un instant devant la mare d’eau douce qui le narguait lorsque, déshydraté, il était prisonnier de sa corniche, et se désaltère abondamment. Il pense même à remplir ses bouteilles vides. On ne sait jamais, il n’est peut-être pas complètement tiré d’affaire...
Durant 10 kilomètres de marche, il conserve la force et la lucidité de s’orienter dans le canyon en direction de sa voiture. Il croit être sauvé lorsqu’il tombe sur deux touristes hollandais, qui n’ont malheureusement à lui offrir que les deux biscuits qui leur restent. Il n’est plus qu’à un kilomètre de sa voiture lorsque l’hélicoptère de Mitch Vetere aperçoit le petit groupe et se pose près de lui. Douze minutes plus tard, refusant brancard et chaise roulante, Ralston pénètre dans l’hôpital de Moab.
Après un premier examen de son bras et devant la force morale d’Aron, un médecin se permet de plaisanter: «Comme grimpeur, vous êtes à l’évidence fortiche, mais comme chirurgien, ce n’est pas ça...» Mitch Vetere est aussitôt reparti avec deux de ses hommes pour tenter de récupérer le bras d’Aron pour une éventuelle greffe. Grâce aux indications précises de Ralston, toujours lucide, il parvient à l’endroit, mais impossible de bouger la pierre. Ce ne sera que le lendemain, avec treize hommes et des systèmes hydrauliques, qu’ils parviendront à récupérer le bras d’Aron. Mais il est trop tard. Il ne peut pas être greffé. L’année dernière, interrogé après un accident d’avalanche, Ralston déclarait: «Je sais que tout ce que j’ai fait n’est pas nécessaire, mais en même temps c’est nécessaire pour moi. Je ne mènerai pas une vie heureuse si je ne faisais pas ça. C’est mon ultime contribution, que cela plaise ou non. C’est mon art.» Comme l’a expliqué sa mère, il est d’ores et déjà certain qu’Aron, avec sa prothèse, repartira «là-bas, là-haut». Et à genoux s’il le faut.
histoire vrai colorado Aron Ralston Danny Boyle