La France peut-elle quitter l'euro
- Par Le Guide De La Critique
- Le 15/09/2011
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- Dans Actualités et événements
Les économistes Jean-Jacques Rosa et Daniel Cohen nous livrent leur analyse sur les conséquences d'une sortie de la France de l'euro. Une proposition défendue notamment par Marine Le Pen.
De faux euros jetés dans la Seine. Le spectacle, qui remonte à quelques jours, était organisé par le Front national. Sa présidente, Marine Le Pen, invitée ce jeudi de l'émission Parole directe sur TF1, voulait dénoncer par ce symbole le plan d'aide à la Grèce tout en prônant de nouveau la fin de l'euro et le retour au franc. Son parti a toujours été opposé à la monnaie unique. A gauche, Jean-Pierre Chevènement, qui pourrait lui aussi se porter candidat à la présidentielle, a aussi taclé, de manière plus mesurée, l'euro. Cette monnaie "est victime d'une erreur de conception. On a mis ensemble des pays dont l'économie est très différente", a critiqué le président d'honneur du Mouvement républicain et citoyen (MRC), proposant de "changer l'architecture de la zone euro" tout en y voyant une "question centrale" des prochaines élections
Même minoritaires, ces voix agacent. Laurence Parisot, la "patronne des patrons" a répliqué à la présidente du FN qu'une sortie de la France de la zone euro augmenterait "en quelques secondes" la dette hexagonale de 200 à 300 milliards d'euros. "Il faut le savoir, y compris pour les TPE-PME auxquelles elle s'adresse: elles ne s'en sortiraient pas vivantes", avait commenté la présidente du Medef.
La France peut-elle donc quitter l'euro? Y trouverait-elle un avantage? A quels risques s'exposerait-on? TF1 News a posé ces questions à deux économistes aux analyses opposées, Jean-Jacques Rosa et Daniel Cohen.
OUI, IL FAUT QUITTER L'EURO - Jean-Jacques Rosa
Pour l'économiste Jean-Jacques Rosa, spécialiste de théorie financière et professeur émérite à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris (Sciences-Po) la crise de la zone euro était prévisible et d'ailleurs prévue. Et la seule solution pour beaucoup de ses membres serait d'en sortir...
TF1 News : Est-il possible pour un pays de quitter l'euro?
Jean-Jacques Rosa, spécialiste de théorie financière : Bien sûr. Il n'y a pas de droit en la matière et rien n'a été prévu à la création de l'euro. Mais le choix d'une monnaie est encore celui du gouvernement national légitime. Si un pays a choisi de rejoindre une alliance monétaire, il peut aussi la quitter, par exemple s'il risque la faillite ou une grave dépression.
TF1 News : La France devrait donc quitter l'euro?
J.-J. R. : Oui, car la France doit se poser la question de ses propres intérêts dans l'euro. Il peut être intéressant de partager une monnaie avec des pays aux économies semblables car la bonne gestion de la monnaie est alors la même pour tous les partenaires. En cas de récession ou de dépression, une politique monétaire plus expansive est souhaitable. Au contraire, en cas de surchauffe, l'instrument monétaire sert à freiner l'activité. Dans des pays aux conjonctures divergentes, cela devient impossible car la politique qui convient à l'un ne peut pas convenir à l'autre.
TF1 News : Que serait l'avantage d'un retour au franc?
J.-J. R. : L'euro est très surévalué par rapport aux autres monnaies du monde, et d'environ 35% par rapport au dollar. Cela pénalise nos exportations et cela accroit nos importations. C'est donc très préjudiciable aux industries implantées en France. Un franc recréé rétablirait donc notre compétitivité. Sachant que le commerce extérieur représente un tiers de la production en France, son bon équilibre est très important.
TF1 News : Quel impact sur la dette?
J.-J. R. : C'est la grande question. Les partisans de l'euro disent que c'est ce qui rend une sortie de l'euro impossible car nos dettes étant libellées en euro, une dévaluation du franc les renchérirait d'autant. Ma réponse c'est qu'il faudrait d'abord déprécier l'euro à parité avec le dollar et en sortir après. C'est une décision qui ne dépend pas de nous seuls. Mais à part l'Allemagne, tous les autres pays y auraient intérêt. Nous pourrions donc trouver des alliés. Et ils pourraient d'ailleurs sortir de l'euro avec nous!
TF1 News : Quel impact cela aurait-il sur le pouvoir d'achat des Français?
J.-J. R. : Certains produits fabriqués à l'étranger seront plus chers. Mais les produits fabriqués ici trouveront de nouveaux débouchés, en France et à l'étranger. Nos industriels se plaignent justement de la concurrence des importations à trop bon marché. Ils n'ont pas tort. Une monnaie moins chère fournirait beaucoup d'emploi nouveau grâce à l'augmentation des exportations, des investissements, de la croissance, et donc des revenus. C'est ce qui crée le niveau de vie.
TF1 News : La sortie de la France, serait-ce la fin de l'euro?
J.-J. R. : L'euro pourrait survivre sans nous. Mais il devrait se resserrer sur des pays qui ont les mêmes intérêts. C'est vrai par exemple pour ce qu'on appelle la "zone mark" : Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Finlande. Ce sont des pays en phase. L'ex-président du patronat allemand, Hans-Olaf Henkel, plaide pour cette solution et veut que l'Allemagne elle-même quitte l'euro.
TF1 News : Concrètement, combien de temps prendrait une sortie de l'euro? N'est-ce pas un long processus de frapper pièces et billets?
J.-J. R. : S'agissant du temps nécessaire pour changer de système monétaire, je cite toujours la réponse que m'avait faite Vaclav Klaus, qui a organisé la séparation des Républiques tchèques et slovaques : "Une semaine !". Il ne faut perdre de vue que la Banque de France existe toujours, comme notre système financier public, et que l'essentiel de la monnaie, ce sont des écritures dans les banques. S'agissant des pièces et des billets, il y a des solutions transitoires, comme un système de poinçonnage des billets pour "transformer" les euros en francs. Et pour simplifier la transition, la valeur initiale du nouveau franc serait fixée à un euro.
TF1 News : Le Front National s'appuie sur vos travaux sur son site officiel. Qu'en pensez-vous?
J.-J. R. : Ce sont mes analyses qui m'ont conduit à ces positions, pas un choix idéologique. Si cela plaît au Front National, tant mieux. Si cela plaît à d'autres partis, ce serait encore mieux ! La question de la sortie de l'euro est très importante mais par ailleurs le Front National reste marqué par un très grand protectionnisme et un très grand dirigisme. Comme économiste, je crois ces orientations mauvaises pour le pays.
Jean-Jacques Rosa est l'auteur de L'euro: comment s'en débarrasser chez Grasset (2011, 9€)
NON, IL NE FAUT PAS QUITTER L'EURO - Daniel Cohen
Pour l'économiste Daniel Cohen, professeur de sciences économiques à l'Ecole Normale Supérieure et conseiller de Martine Aubry, il faut réformer la zone euro mais ne surtout pas se séparer de la monnaie unique.
TF1 News : Est-il possible pour un pays de quitter l'euro?
Daniel Cohen, professeur de sciences économiques à l'Ecole Normale Supérieure : C'est possible mais c'est extrêmement dangereux. De façon générale, lorsqu'un pays sort d'un accord d'ajustement monétaire, ce n'est jamais une décision, c'est toujours subi. Lorsque le Royaume-Uni est sorti du SME (serpent monétaire européen) en 1992, c'est parce qu'il était obligé de le faire. De même, en 2001, l'Argentine a subi une récession très violente en changeant de système. Bien sûr, à terme, on finit par récupérer mais, dans le cas argentin, les classes moyennes ont été ruinées et leurs actifs dilapidés. Cela a été une cicatrice terrible. C'est pour cela qu'aujourd'hui, la Grèce ne souhaite pas sortir de la zone euro et consent à des ajustements budgétaires très importants pour retrouver sa stabilité.
TF1 News : Que se passerait-il si la France décidait de quitter l'euro?
D. C. : On serait dans une situation apocalyptique. Quitter l'euro, c'est s'exposer à une panique bancaire, à une monnaie qui serait immédiatement l'objet d'attaques spéculatives très violentes et donc à l'inflation et l'hyperinflation. Si la France quittait la zone euro, cela veut dire que ses banques seraient ruinées, que l'épargne des Français serait ruinée, que plus un centime de crédit ne serait accordé...
TF1 News : Quels avantages l'euro a-t-il apporté à la France?
D. C. : Jusqu'a présent l'euro nous a abrités de la crise de 2008. La banque centrale européenne a été capable de mettre en place un mécanisme qui nous a protégés collectivement. Si on n'avait pas eu l'euro, le franc se serait dévalué et le pouvoir d'achat aurait donc été menacé. L'euro, c'est le pari de la stabilité financière. La raison pour laquelle les voix anti-euro se font entendre aujourd'hui c'est que cette stabilité n'est plus acquise. C'est pour cela qu'on ne peut plus se satisfaire du statu quo.
TF1 News : L'euro fort n'a-t-il pas handicapé notre industrie?
D. C. : L'euro n'est pas responsable de la désindustrialisation de la France. La preuve, c'est que l'Allemagne a préservé son industrie tout en restant dans la zone euro. C'est vrai que l'euro nous empêche de dévaluer par rapport aux autres. Ce que l'on oublie, c'est qu'il empêche aussi les autres de dévaluer par rapport à nous ! On aurait aimé dévaluer par rapport au deutsche mark mais pas que les Italiens dévaluent la lire... Ces effets se seraient neutralisés. C'est vrai qu'il y a des contraintes mais il faut rappeler que la France a pu financer une grande partie de ses déficits grâce aux excédents d'autres pays sans que cela ne provoque de crise de change. Le problème, c'est que l'endettement trop bon marché peut devenir pathologique. C'est sans doute ce qui s'est passé en Espagne où l'on a créé une bulle immobilière et une bulle de l'endettement.
TF1 News : Comment alors sauver l'euro?
D. C. : Pour préserver l'euro contre ces critiques, il faut retrouver de la stabilité financière. Je recommande donc de doter le fonds européen de stabilité financière (NDLR : le FESF) de moyens beaucoup plus considérables pour pouvoir casser la spéculation contre les états souverains comme l'Italie. Il faudrait transformer ce fonds en une banque avec un capital d'investissement et lui permettre de s'endetter auprès de la Banque Centrale Européenne. Les dispositifs actuels sont adaptés au sauvetage de la Grèce ou du Portugal. Ils ne le sont pas pour l'Italie et l'Espagne. Si l'on veut combattre la crise a l'échelle requise par la taille de ces pays, il faut des moyens beaucoup plus importants.
Daniel Cohen est l'auteur de La prospérité du vice chez Albin Michel, réédition Livre de Poche.
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